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DEERSLAYER

bois avec si peu de précaution, que Deerslayer le vit avant d’en avoir été aperçu lui-même. Quand cela arriva, ce qui eut lieu un moment après, l’Indien poussa un grand cri, auquel une douzaine de voix répondirent de différents côtés de la montagne. Ce n’était pas le temps de s’arrêter davantage, et, une minute après, Deerslayer, sur sa pirogue, s’éloignait du rivage à toutes rames.

Dès qu’il se crut à une distance qui le mettait en sûreté, il cessa de ramer, laissa sa pirogue aller à la dérive, et se mit à considérer l’état des choses. La pirogue qui avait été la première abandonnée à la dérive, flottait vent arrière, à un bon quart de mille au-dessus de lui, et un peu plus près du rivage qu’il ne l’aurait voulu, attendu le voisinage des Indiens. Celle qu’il avait repoussée de la pointe n’était qu’à quelques toises de la sienne, car il avait dirigé sa route de manière à la rejoindre en s’éloignant de la terre. Le corps de l’Indien était où il l’avait placé. Le guerrier qui s’était montré en sortant de la forêt avait déjà disparu, et les bois semblaient eux-mêmes silencieux comme au moment où ils étaient sortis des mains du Créateur. Ce profond silence ne dura pourtant qu’un moment. Quand les espions de l’ennemi eurent eu le temps de faire une reconnaissance, les Indiens s’élancèrent de la forêt, accoururent sur la pointe, et remplirent l’air de cris de fureur en apercevant le cadavre de leur compagnon. À ces cris succédèrent des acclamations de joie, quand ils s’approchèrent du défunt, autour duquel ils se groupèrent. Deerslayer connaissait assez bien les usages des Indiens pour comprendre le motif de ce changement. Les cris étaient les lamentations d’usage lors de la mort d’un guerrier, et les acclamations un signe de réjouissance de ce que le vainqueur n’avait pas eu le temps, comme ils le supposaient, de lui enlever sa chevelure, trophée sans lequel une victoire n’est jamais regardée comme complète. La distance à laquelle étaient déjà les pirogues les empêcha probablement de faire aucune tentative pour attaquer le vainqueur ; car les Indiens du nord de l’Amérique, comme les panthères de leurs forêts, cherchent rarement à attaquer leurs ennemis, sans être à peu près certains de réussir dans leur entreprise.

Comme Deerslayer n’avait plus aucun motif pour rester près de la pointe, il songea à prendre ses pirogues à la remorque pour les conduire au château. Il ne lui fallut que quelques minutes pour s’assurer de celle qui était à peu de distance, et il se mit ensuite à la poursuite de l’autre qui continuait à remonter le lac. Dès qu’il y eut jeté les yeux, il pensa qu’elle était plus près du rivage qu’elle n’aurait dû l’être si elle n’avait fait que céder à l’influence du peu