Page:Cooper - Œuvres complètes, éd Gosselin, tome 17, 1840.djvu/395

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

se cacher à fond de cale c’est en général renoncer à défendre le bâtiment ; la seconde, que nous avions dans notre propre estomac un ennemi plus formidable dans ses attaques que celui qui était sur le pont. La faim est une infernale circonstance, comme le reconnaîtra quiconque à jeuné quarante-huit heures.

— Mon oncle, — dit Mabel d’une voix triste et suppliante, mon pauvre père est blessé, bien dangereusement blessé.

— C’est vrai, Magnet, c’est vrai ; je vais m’asseoir près de lui et tâcher de le consoler de mon mieux. Les barres sont-elles bien assujetties, mon enfant ? car dans une semblable occasion il faut que l’esprit soit tranquille et n’ait aucune préoccupation.

— Nous n’avons rien à craindre dans ce moment, je crois, excepté le coup affreux dont nous menace la providence.

— Bien, bien, Magnet ; allez au second étage et tâchez de vous calmer un peu, tandis que Pathfinder montera tout en haut et s’établira sur les traversières des hunes. Il faut nous laisser seuls, car votre père peut avoir quelques confidences à me faire. C’est une scène solennelle qui va se passer, et des gens sans expérience, comme moi, ne désirent pas toujours qu’on entende ce qu’ils peuvent dire.

Quoique la pensée que son oncle fût en état d’accorder des consolations religieuses à un mourant ne se fût jamais présentée à l’esprit de Mabel, elle pensa qu’il y avait peut-être dans cette demande une nécessité qu’elle ne pouvait comprendre, et elle n’osa la refuser. Pathfinder était déjà monté sur le toit pour surveiller les environs, et les deux beaux-frères restèrent seuls. Cap prit un siège à côté du sergent et songea sérieusement au grave devoir qu’il allait entreprendre. Un silence de quelques minutes eut lieu, pendant lequel notre marin digéra la substance du discours qu’il allait improviser, et qu’il commença enfin de cette singulière manière.

— Il faut que je vous dise, sergent Dunham, qu’on doit avoir commis quelques fautes grossières dans cette malheureuse expédition. Dans une circonstance aussi solennelle que celle où nous nous trouvons l’un et l’autre, on ne doit dire que la vérité, et il est de mon devoir de vous parler avec la plus grande franchise. En un mot, sergent, sur ce point, il ne peut y avoir deux opinions différentes, car puisqu’un marin comme moi, qui n’est point soldat, a pu s’apercevoir de beaucoup d’erreurs, il ne faut donc pas un grand talent pour les découvrir.