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de commettre une imprudence. Elle soupçonna d’abord que Mabel avait l’intention de s’enfuir, puis elle rejeta ce soupçon en songeant que la face-pâle n’avait aucun moyen de quitter l’île, et que le fort était le meilleur refuge qu’elle pût choisir. Sa seconde crainte fut que Mabel n’eût découvert quelque signe de la prochaine arrivée de son père. Cette pensée ne l’occupa qu’un instant, car elle avait la même opinion de l’habileté de sa compagne qu’une femme du grand monde des talents de sa femme de chambre, et elle croyait fermement que Mabel n’avait pu découvrir ce qui avait échappé à sa propre sagacité. Nulle autre objection ne s’offrant à sa pensée, elle monta doucement l’échelle.

Au moment où elle atteignait l’étage supérieur, une heureuse pensée s’offrit à l’esprit de notre héroïne, et en l’exprimant d’une voix précipitée mais naturelle, elle obtint un grand avantage dans l’exécution de son plan.

— Je vais descendre, — dit-elle, — et écouterai à la porte tandis que vous serez sur le toit ; nous serons ainsi sur nos gardes en même temps, vous en haut et moi en bas.

Quoique l’Indienne pensât que cette précaution était inutile, sachant bien que personne ne pouvait entrer dans le fort sans y être aidé de l’intérieur, et qu’aucun danger ne pouvait les menacer de l’extérieur sans qu’elles en fussent averties d’avance, elle attribua la demande de Mabel à la frayeur et au manque d’expérience, et comme elle avait été faite avec un air de franchise, elle fut reçue sans défiance. De cette manière notre héroïne put descendre tandis que sa compagne montait sur le toit, et Rosée-de-Juin ne songea point à la surveiller. La distance entre elles était alors trop grande pour qu’elles pussent continuer la conversation, et pendant trois ou quatre minutes l’une fut occupée à regarder autour du fort, autant que l’obscurité pouvait le permettre, et l’autre à écouter à la porte avec une telle attention que tous ses sens étaient absorbés dans la faculté d’entendre.

L’indienne ne découvrit rien du point élevé où elle était montée, l’obscurité seule en eût ôté l’espoir, mais il ne serait pas facile d’exprimer la sensation avec laquelle Mabel crut s’apercevoir qu’on poussait légèrement la porte. Craignant de se tromper et voulant apprendre à Chingashgook qu’elle était là, elle chanta d’une voix tremblante et basse. La tranquillité de la nuit était si grande que les sons mal assurés montèrent jusqu’au haut du fort,