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une grande place dans l’arrière-plan du tableau ; car notre héroïne savait bien que les Indiens emmènent d’ordinaire à leurs villages, par voie d’adoption, les captifs qu’ils ne massacrent pas, et qu’on pourrait citer l’exemple de plusieurs femmes qui avaient passé le reste de leur vie dans les wigwams de leurs ravisseurs. Après de telles pensées, Mabel éprouvait le besoin de s’agenouiller et de prier encore.

La situation de notre héroïne, déjà assez alarmante durant le jour, devint beaucoup plus effrayante à mesure que les ombres du soir tombèrent sur l’île. Les sauvages étaient alors exaltés jusqu’à la fureur, car ils s’étaient abreuvés de toutes les liqueurs fortes des Anglais, et leurs cris et leurs gestes étaient vraiment ceux d’hommes possédés par l’esprit malin. Tous les efforts de leur chef français, pour les réprimer, avaient été infructueux, et il s’était sagement retiré dans une île voisine, où il avait une espèce de bivouac, afin de mettre une certaine distance entre lui et des amis si disposés à se livrer à des excès. Avant de se retirer, néanmoins, cet officier avait réussi, non sans risque de la vie, à éteindre le feu et à mettre hors de portée les moyens de le rallumer. Il prit cette précaution, de peur que les Indiens ne brûlassent le fort dont la conservation était nécessaire au succès de ses plans futurs. Il aurait volontiers enlevé aussi toutes les armes, mais il fut forcé d’y renoncer, les guerriers gardant leurs couteaux et leurs tomahawks avec la ténacité d’hommes qui conservent la pensée du point d’honneur aussi long-temps qu’une faculté leur est laissée ; il eût été inutile d’emporter les fusils sans pouvoir y joindre les armes dont ils se servaient d’ordinaire en de telles occasions. L’extinction du feu se trouva une mesure fort prudente, car l’officier n’eut pas plus tôt tourné le dos, qu’un des guerriers proposa en effet de brûler le fort. Arrowhead s’était aussi retiré dès qu’il s’était aperçu que ses compagnons perdaient l’usage de leur raison, et il avait pris possession d’une hutte où il s’était jeté sur la paille, afin de chercher le repos que deux nuits de veilles et de fatigues lui avaient rendu nécessaire. Il en résultait qu’il ne restait personne parmi les Indiens qui s’inquiétât de Mabel, si même aucun d’eux connaissait son existence, et la proposition du sauvage fut accueillie avec des cris de joie par huit ou dix de ses camarades ivres comme lui et habituellement tout aussi brutaux.

C’était le moment périlleux pour Mabel. Les Indiens dans leur