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fication et du chagrin qu’elle éprouvait en se trouvant la rivale involontaire de son amie, elle craignait que la jalousie de celle-ci ne fût pour elle-même qu’une garantie assez équivoque de sûreté dans sa position actuelle. Un examen attentif la rassura pourtant. S’il était facile de lire dans les traits de cette simple créature la douleur de n’être plus aimée, aucune méfiance ne pouvait prendre l’expression affectueuse de sa physionomie franche et ouverte pour celle de la trahison ou de la haine.

— Vous ne me trahirez pas, Rosée-de-Juin ? — dit Mabel en lui serrant la main, et cédant à une impression de confiance généreuse ; vous ne livrerez pas une créature de votre propre sexe au tomahawk ?

— Aucun tomahawk toucher vous, Arrowhead vouloir pas. Si Rosée-de-Juin être destinée à avoir une femme-sœur, elle aimer à avoir vous.

— Non, non ; ma religion et mes sentiments s’y opposent également ; et si je pouvais être la femme d’un Indien, je ne voudrais jamais prendre la place qui vous appartient dans un wigwam.

Rosée-de-Juin ne répondit pas ; mais tout en elle exprima une vive reconnaissance. Elle savait que peu de filles indiennes, pas une peut-être dans le cercle des relations d’Arrowhead, ne pouvait lui être comparée sous le rapport des attraits personnels ; et bien que son mari pût épouser une douzaine de femmes, elle était sûre de n’avoir à craindre l’influence d’aucune, Mabel exceptée : la beauté, la douceur, les manières séduisantes de notre héroïne lui avaient pourtant inspiré un intérêt si vif, que lorsque la jalousie vint glacer ses sentiments, elle prêta à cet intérêt une force nouvelle ; et sa capricieuse influence avait été l’un des motifs qui l’avaient portée à venir, au milieu de tant de dangers, sauver sa rivale imaginaire des conséquences d’une attaque qu’elle savait être prochaine. En un mot, elle avait découvert avec la rapide perception d’une femme, l’admiration qu’Arrowhead éprouvait pour Mabel, et au lieu de sentir cette poignante jalousie qui lui aurait rendu sa rivale odieuse, ce qui fût arrivé sans doute à une femme moins accoutumée à respecter les droits supérieurs du sexe souverain, elle se mit à étudier les manières et le caractère de la beauté à face pâle ; et n’y trouvant rien qui repoussât son affection, mais tout au contraire l’encourageant, elle se livra à son admiration, et conçut pour Mabel un amour qui, quoique