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Mac-Nab conservait encore assez de vie pour laisser voir qu’il comprenait parfaitement ce qui était arrivé. Son visage avait l’expression farouche d’un homme que la mort a surpris, et Mabel, lorsqu’elle y réfléchit avec plus de sang-froid, se figura qu’il avait montré le repentir tardif d’un pécheur endurci.

— Allez dans le fort le plus vite possible, — dit Mac-Nab d’une voix faible, quand Mabel se pencha pour recueillir ses dernières paroles.

Notre héroïne apprécia alors sa situation et comprit qu’il était urgent d’agir. Elle jeta un regard rapide sur le corps qui était à ses pieds, vit qu’il avait cessé de respirer et s’enfuit. En peu de minutes elle atteignit le fort, déjà elle touchait la porte, lorsqu’elle fut tout-à-coup fermée avec violence par Jenny qui, dans son aveugle terreur, ne songeait qu’à sa propre sûreté. Cinq ou six coups de feu retentirent, tandis que Mabel demandait à entrer à grands cris. L’accroissement de frayeur qu’ils causèrent empêcha la femme du soldat de tirer les verroux avec la même promptitude qu’elle avait mise à les fermer. Après une minute de délai cependant, Mabel commença à sentir que la porte cédait peu à peu, et elle s’insinua à travers l’ouverture dès qu’elle fut suffisante pour sa forme délicate. — Pendant ce temps les battements du cœur de Mabel s’étaient ralentis, et elle retrouva assez de présence d’esprit pour agir avec réflexion. Au lieu de céder aux efforts presque convulsifs de sa compagne pour refermer la porte, elle la tint ouverte le temps nécessaire pour s’assurer qu’aucun des leurs n’était à portée du fort, et ne pouvait y chercher un refuge. Elle permit alors qu’elle la fermât, et donna des instructions avec calme et prudence. Une seule barre fut posée, et Jenny fut mise en sentinelle pour la lever à la première demande d’un ami. Elle monta ensuite dans la pièce située à l’étage supérieur, d’où, par une meurtrière, elle pouvait voir l’île entière aussi bien que le bois le permettait. Ayant recommandé à sa compagne de dangers le calme et la fermeté, elle fit l’examen des environs aussi exactement que la situation le permettait.

À sa grande surprise, Mabel n’aperçut pas d’abord un seul être vivant dans l’île, ami ou ennemi. Ni Français ni Indien n’était visible, quoiqu’un petit nuage blanc qui flottait sous le vent lui indiquât de quel côté elle devait les chercher. Les coups de feu étaient partis du côté de l’île d’où Rosée-de-Juin était venue ; mais Mabel ignorait si l’ennemi était encore dans cette île, ou s’il