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— Mais vous ne pouvez pas en avoir la certitude, n’ayant pas été dans l’île pour vous en assurer.

— Avoir bons yeux. Vu bateaux avec hommes dedans, vu grande pirogue avec Eau-douce.

— Alors vous nous avez épiés quelque temps ; je pense néanmoins que vous n’avez pas compté ceux qui restent.

L’Indienne se mit à rire, leva encore ses quatre doigts, puis lui montrant ses deux pouces, elle posa un doigt sur le premier, répéta les mots habits rouges, et, touchant le dernier, ajouta, — Eau-salée, quartier-maître. Tout cela était fort exact, et Mabel commença à douter sérieusement qu’il fût convenable de la laisser partir sans en avoir obtenu de plus amples explications. Mais il était si contraire à ses sentiments d’abuser de la confiance que cette aimable et affectionnée créature avait évidemment placée en elle, que Mabel n’eut pas plus tôt conçu la pensée d’avertir son oncle qu’elle la rejeta comme indigne d’elle et injuste pour son amie ; à l’appui de cette bonne résolution venait aussi la certitude que Rosée-de-juin ne dirait rien et se renfermerait dans un silence obstiné, pour peu qu’on essayât de la forcer à parler.

— Vous pensez donc, reprit Mabel, dès qu’elle eut éloigné l’idée qui s’était offerte à son esprit, que je ferais mieux d’habiter le fort.

— Bonne place pour les femmes ; — fort, pas de chevelure, troncs d’arbres épais.

— Vous parlez avec assurance, comme si vous y aviez été et que vous en eussiez mesuré les murailles.

L’Indienne sourit avec un air significatif, quoiqu’elle ne dît rien.

— Un autre que vous sait-il le chemin de cette île ? Quelqu’un des Iroquois l’ont-ils vue ?

Rosée-de juin parut triste et jeta les yeux avec inquiétude autour d’elle, comme si elle craignait d’être écoutée.

— Tuscarora partout, — Oswego, ici, Frontenac, Mohawk partout. — Si lui voir Rosée-de-juin, elle morte.

— Mais nous pensions que personne ne connaissait cette île et que nous n’avions rien à craindre de nos ennemis tant que nous y serions ?

— Bons yeux Iroquois.

— Les yeux ne suffisent pas toujours, Rosée-de-juin ; cet endroit est caché à la vue, et fort peu des nôtres même savent y arriver.