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cula involontairement, cherchant à se cacher derrière le feuillage, sans cesser de tenir les yeux fixés sur le rivage opposé. Après avoir vainement attendu, elle allait quitter son poste et retourner au plus vite vers son oncle pour lui faire part de ses soupçons, lorsqu’elle vit la branche d’un aulne s’élever dans l’autre île au-dessus de la crête des buissons, et se balancer vers elle d’une manière qui lui sembla un gage d’amitié. C’était une pénible et difficile épreuve pour une personne aussi peu expérimentée que Mabel dans la guerre des frontières ; et cependant elle sentit la nécessité de conserver sa présence d’esprit et d’agir avec fermeté et prudence.

L’une des conséquences des dangers auxquels sont exposés les habitants des frontières américaines, est de porter les facultés morales des femmes à une hauteur qu’elles-mêmes se croiraient incapables d’atteindre en d’autres circonstances. Mabel n’ignorait pas qu’ils aimaient à célébrer, dans leurs légendes, le courage et l’adresse que leurs femmes ou leurs sœurs avaient montrés dans les moments les plus critiques. Ces souvenirs et la pensée que le temps était venu de prouver qu’elle était véritablement la fille du sergent Dunham fortifièrent son âme. Le signal lui paraissait d’un genre tout pacifique, et, après une minute d’hésitation, elle rompit un rameau flexible, le tortilla autour d’un bâton, et le passant à travers une ouverture, elle imita aussi exactement que possible l’impulsion donnée à la branche d’aulne.

Cet entretien muet durait depuis quelques instants lorsque Mabel vit le feuillage s’écarter doucement et une figure humaine paraître dans l’intervalle. Un coup d’œil lui suffit pour voir que c’était le visage d’une peau rouge et celui d’une femme ; un autre lui fit reconnaître Rosée-de-Juin, la femme d’Arrowhead. Durant le voyage qu’elles avaient fait ensemble, Mabel avait remarqué l’amabilité, la douce simplicité et le respect mêlé d’affection de cette Indienne envers son mari. Une ou deux fois il lui avait semblé que le Tuscarora la considérait avec un peu trop d’attention, et elle avait cru voir alors le chagrin et le dépit se peindre sur les traits de sa compagne. Comme Mabel cependant avait compensé avec usure toutes les peines de ce genre qu’elle pouvait avoir causées, par les témoignages de sa propre affection, Rosée-de-Juin lui avait montré de son côté beaucoup d’attachement ; et quand elles se quittèrent, notre héroïne pensa qu’elle se séparait d’une amie.