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je vaux encore moins depuis que j’ai découvert la méprise du sergent ; il est donc inutile de parler de moi. Il m’a été fort agréable d’être près de vous si long-temps, et même de m’imaginer que le sergent ne se trompait pas, mais à présent tout est dit. Je descendrai le lac avec Jasper, et alors nous trouverons assez de besogne, ce qui chassera de mon esprit des pensées inutiles.

— Et vous oublierez tout ce qui vient de se passer, — vous m’oublierez. — Non, vous ne m’oublierez pas, Pathfinder, mais vous reprendrez vos anciennes occupations et vous cesserez de penser qu’une jeune fille doive troubler la paix de votre cœur.

— Je ne le savais pas auparavant, Mabel ; mais je vois qu’une jeune fille a plus d’influence sur la vie d’un homme que je n’aurais pu le croire. Avant que je vous connusse, l’enfant nouveau-né ne pouvait dormir plus tranquillement que moi. Dès que ma tête était posée sur une racine ou sur une pierre, ou quelquefois sur une peau, tout était perdu pour mes sens, à moins que je ne rêvasse pendant la nuit à ma besogne de la veille ou à celle du lendemain. Je dormais jusqu’à ce que le moment de me lever fût arrive, et les hirondelles n’étaient pas plus sûres de prendre leur vol au soleil levant que je ne l’étais d’être sur mes jambes à l’heure que je le voulais. Tout cela semblait ma nature, et je pouvais y compter même au milieu d’un camp de Mingos, car j’ai fait dans mon temps des excursions jusque dans les villages de ces vagabonds.

— Et vous retrouverez tout cela, Pathfinder, car un homme si prudent et si sensé ne voudra pas perdre son bonheur pour une pure fantaisie. Vous rêverez encore à vos chasses, aux daims que vous aurez tués et aux castors que vous aurez pris.

— Hélas ! Mabel, je ne désire plus rêver de ma vie. Avant que nous nous fussions rencontrés, j’avais une sorte de plaisir en rêvant que je suivais les chiens, que je découvrais une piste des Iroquois, que je dressais une embuscade, que je combattais dans une escarmouche, et j’y trouvais de la satisfaction ; c’était ma nature. Mais tout cela n’a plus de charmes pour moi depuis que j’ai fait connaissance avec vous. Ce n’est plus à de pareilles choses que je pense dans mes songes. La dernière nuit que nous passâmes au fort, je rêvai que j’avais une cabane dans un bosquet d’érables à sucre, et au pied de chacun de ces arbres était une Mabel Dunham, et les oiseaux qui étaient sur leurs branches