LXIX
LES DEUX FRÈRES
n paysan avait deux fils déjà en âge de s’établir.
Le vieillard tint conseil à ce sujet avec
sa femme. « Lequel de nos fils marierons-nous ? »
demanda-t-il à la vieille, « Gritzka ou Lavr ? —
« Marions l’aîné, » répondit-elle. Et pendant les
jours gras ils fiancèrent Lavr à une jeune fille d’un
autre village. Arriva la semaine sainte, puis, le carême
fini, Lavr se disposa à aller voir sa future en
compagnie de son frère Gritzka ; ils montèrent dans
un chariot attelé de deux chevaux : en sa qualité
de fiancé, Lavr occupait, dans l’équipage, la place
du maître, tandis que son frère remplissait l’office
de cocher. À peine venaient-ils de quitter le village
que Lavr, qui s’était trop largement dédommagé
des abstinences du carême, éprouva le besoin
de mettre culotte bas. « Gritzka, mon frère, » dit-il,
« arrête les chevaux. — Pourquoi ? — J’ai un
besoin à satisfaire. — Quel imbécile tu es ! se
peut-il que tu fasses cela sur ta terre ? Attends un
peu, nous allons avoir à traverser le champ d’un
autre, là tu pourras déposer tout ce que tu as
dans le ventre. » Force fut à Lavr de patienter ;