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bonne volonté d’un de ses gardes, qui en eut pitié, et qui la sauva avec une échelle de cordes ; dès que vous fûtes venue au monde, la reine affligée cherchant à se cacher, arriva dans cette maisonnette, demi-morte de lassitude et de douleur ; j’étais laboureuse, dit la poule, et bonne nourrice, elle me chargea de vous, et me raconta ses malheurs, dont elle se trouva si accablée qu’elle mourut sans avoir le temps de nous ordonner ce que nous ferions de vous.

« Comme j’ai aimé toute ma vie à causer, je n’ai pu m’empêcher de dire cette aventure ; de sorte qu’un jour il vint ici une belle dame, à laquelle je contai tout ce que j’en savais. Aussitôt, elle me toucha d’une baguette, et je devins poule, sans pouvoir parler davantage : mon affliction fut extrême et mon mari qui était absent dans le moment de cette métamorphose, n’en a jamais mais rien su. À son retour, il me chercha partout ; enfin il crut que j’étais noyée, ou que les bêtes des forêts m’avaient dévorée. Cette même dame qui m’avait fait tant de mal, passa une seconde fois par ici ; elle lui ordonna de vous appeler Fortunée, et lui fit présent d’un jonc d’argent et d’un pot d’œillets ; mais comme elle était céans, il arriva vingt-cinq gardes du roi de votre père, qui vous cherchaient avec de mauvaises intentions : elle dit quelques paroles, et les fit venir des choux verts, du nombre desquels est celui que vous jetâtes hier au soir par votre fenêtre. Je ne l’avais point entendu parler jusqu’à présent, je ne pouvais parler moi-même, j’ignore comment la voix nous est revenue. »

La princesse demeura bien surprise des merveilles que la poule venait de lui raconter ; elle était encore pleine de bonté, et lui dit : « Vous me faites grand’pitié, ma pauvre nourrice, d’être devenue poule ; je voudrais fort vous rendre votre première figure, si je le pouvais ; mais ne désespérons de rien, il me semble que toutes les choses que vous venez de m’apprendre ne peuvent demeurer dans la même situation. Je vais chercher mes œillets, car je les aime uniquement. »

Bedou était allé au bois, ne pouvant imaginer que Fortunée s’avisât de fouiller dans sa paillasse ; elle fut ravie de son éloignement, et se flatta qu’elle ne trouverait aucune résistance, lorsqu’elle vit tout d’un coup une grande quantité de rats prodigieux, armés en guerre : ils se rangèrent par bataillons, ayant derrière eux la fameuse paillasse, et les escabelles aux côtés ; plusieurs grosses souris formaient le corps de réserve, résolues de combattre comme des amazones. Fortunée demeura bien surprise ; elle n’osait s’approcher, car les rats se jetaient sur elle, la