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tiles trente louis dans ma poche. Nous étions horriblement serrés dans le petit cabriolet à une place. J’étais dans le fond, et M. Benay, qui était assez grand et surtout fort gros, était assis sur une petite chaise, entre mes jambes, secoué et perdant l’équilibre à chaque cahot pour donner de la tête à droite ou à gauche. Nous avions à peine fait dix pas qu’il commença à se plaindre. Je renchéris sur ses plaintes, parce que l’idée me vint que, si nous retournions à la maison, je me retrouverais en liberté de faire de nouveau ce que je voudrais. En effet, nous n’étions pas encore hors de la barrière, qu’il déclara qu’il lui était impossible d’y tenir, et me demanda de renvoyer au lendemain et de chercher une autre manière de voyager. J’y consentis, je le ramenai à son hôtel, et me voilà chez moi à onze heures du soir, ayant dix ou douze heures pour délibérer.

Je n’en mis pas autant à me décider à une folie beaucoup plus grave et beaucoup plus coupable qu’aucune de celles que j’avais encore faites. Je ne l’envisageai pas ainsi. J’avais la tête tournée et par la crainte de revoir mon père et par tous les sophismes que j’avais répétés et entendu répéter sur l’indépendance. Je me pro-