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ESQUISSE DE CONSTITUTION. — CHAP. IX.

rendant inutile. À un certain degré de civilisation sociale, toute superstition contrariant le reste des idées, des mœurs et des habitudes, est sans influence. Rien n’est durable pour une nation, dès qu’elle a commencé à raisonner, sinon ce qui s’explique par le raisonnement et se démontre par l’expérience.

L’axiome des barons anglais : nous ne voulons pas changer les lois d’Angleterre, est beaucoup plus raisonnable que s’ils eussent dit : nous ne pouvons pas les changer. Le refus de changer les lois, parce qu’on ne veut pas les changer, s’explique, ou par la bonté intrinsèque de ces lois, ou par l’inconvénient d’un changement immédiat. Mais un tel refus, motivé sur je ne sais quelle impossibilité mystérieuse, devient inintelligible. Quelle est la cause de cette impossibilité ? Où est la réalité de la barrière que l’on nous oppose ? Toutes les fois qu’en matière de raisonnement l’on met la raison hors de la question, l’on ne sait plus d’où l’on part ni où l’on va.

Je ne connais rien de si ridicule que ce qui s’est renouvelé sans cesse durant notre révolution. Une constitution se rédige : on la discute, on la décrète, on la met en activité. Mille lacunes se découvrent, mille superfluités se rencontrent, mille doutes s’élèvent. On commente la constitution, on l’interprète comme un manuscrit ancien qu’on aurait nouvellement déterré. La constitution ne s’explique pas, dit-on, la constitution se tait, la constitution a des parties ténébreuses’. Croyez-vous donc qu’un peuple se gouverne par des énigmes ? Ce qui fut hier l’objet d’une critique sévère et publique, peut-il aujourd’hui, tout à coup, se transformer en objet de vénération silencieuse et d’implicite adoration ?

Organisez bien vos divers pouvoirs, intéressez toute leur existence, toute leur moralité, toutes leurs espérances honorables à la conservation de votre établissement public ; et si toutes les autorités réunies veulent profiter de l’expérience, pour opérer des changements qui n’attentent ni au principe de la représentation, ni à la sûreté personnelle, ni à la manifestation de la pensée, ni à l’indépendance du pouvoir judiciaire, laissez-leur toute liberté sous ce rapport. Si l’ensemble de vos autorités abuse de cette prérogative, c’est que votre constitution était vicieuse ; car si elle eût

1 J’ai entendu ces propres paroles prononcées à la tribune.