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passions, où son image pût se réfléchir à toute heure sans avoir à craindre une image rivale ; il comprendrait de lui-même, il devinerait cette vérité douloureuse et qui n’est jamais impunément méconnue, c’est que l’avenir ne suffit pas à l’amour, et que le cœur le plus indulgent ne peut se défendre d’une jalousie acharnée contre le passé ; il ne s’exposerait pas à essuyer sur les lèvres de sa maîtresse les baisers d’une autre bouche : il tremblerait de lire dans ses yeux une pensée qui retournerait en arrière et qui s’adresserait à un absent.

Mais comme sa tête a voulu avant que son cœur désirât, c’est Ellénore qu’il attaque, et qu’il préfère à toutes les autres.

Il y a dans la possession de cette femme un aliment magnifique pour sa vanité ; il sera envié par ceux-là même qui médisent d’elle, et qui se vengent de ses dédains en redoublant son isolement ; il sera montré au doigt par la ville comme un lutteur adroit, comme un rusé jouteur : chaque fois qu’il entrera dans un salon, il entendra autour de lui le chuchotement glorieux de ses rivaux.

Il ne tremblera pas à la vue de ces convoitises empressées, qui, pour un cœur vraiment