Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/88

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

tout, place encore un succès dans la bassesse, où l’effroi cherche un asile. La cupidité paraît à découvert, offrant son opprobre comme garantie à la tyrannie. Le sophisme s’empresse à ses pieds, l’étonne de son zèle, la devance de ses cris, obscurcissant toutes les idées, et nommant séditieuse la voix qui veut le confondre. L’esprit vient offrir ses services ; l’esprit qui, séparé de la conscience, est le plus vil des instruments. Les apostats de toutes les opinions accourent en foule, n’ayant conservé de leurs doctrines passées que l’habitude des moyens coupables. Des transfuges habiles, illustres par la tradition du vice, se glissent de la prospérité de la veille à la prospérité du jour. La religion est le porte-voix de l’autorité, le raisonnement, le commentaire de la force. Les préjugés de tous les âges, les injustices de tous les pays, sont rassemblés comme matériaux du nouvel ordre social. L’on remonte vers des siècles reculés, l’on parcourt des contrées lointaines, pour composer de mille traits épars une servitude bien complète qu’on puisse donner pour modèle. La parole déshonorée vole de bouche en bouche, ne partant d’aucune source réelle, ne portant nulle part la conviction ; bruit importun, oiseux et ridicule, qui ne laisse à la vérité et à la justice aucune expression qui ne soit souillée.

Un pareil état est plus désastreux que la révolution la plus orageuse. On peut détester quelquefois les tribuns séditieux de Rome, mais on est oppressé du mépris qu’on éprouve pour le sénat sous les Césars. On peut trouver durs et coupables les ennemis de Charles Ier, mais un dégoût profond nous saisit pour les créatures de Cromwell.

Lorsque les portions ignorantes de la société commettent des crimes, les classes éclairées restent intactes. Elles sont préservées de la contagion par le malheur ;