Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/84

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne sont jamais l’effet de la volonté : elles sont l’ouvrage des circonstances. Tous les terrains sont propres aux alignements géométriques ; la nature seule produit les sites et les effets pittoresques. Une hérédité, qu’on voudrait édifier sans qu’elle reposât sur aucune tradition respectable et presque mystérieuse, ne dominerait point l’imagination. Les passions ne seraient pas désarmées ; elles s’irriteraient au contraire davantage contre une inégalité subitement érigée en leur présence et à leurs dépens. Lorsque Cromwell voulut instituer une chambre haute, il y eut révolte générale dans l’opinion d’Angleterre. Les anciens pairs refusèrent d’en faire partie, et la nation refusa de son côté de reconnaître comme pairs ceux qui se rendirent à l’invitation.

On crée néanmoins de nouveaux nobles, objectera-t-on. C’est que l’illustration de l’ordre entier rejaillit sur eux. Mais si vous créez à la fois le corps et les membres, où sera la source de l’illustration ?

Des raisonnements du même genre se reproduisent relativement à ces assemblées, qui, dans quelques monarchies, défendent ou représentent le peuple. Le roi d’Angleterre est vénérable au milieu de son parlement ; mais c’est qu’il n’est pas, nous le répétons, un simple individu. Il représente aussi la longue suite des rois qui l’ont précédé ; il n’est pas éclipsé par les mandataires de la nation : mais un seul homme, sorti de la foule, est d’une stature trop diminutive, et, pour soutenir le parallèle, il faut que cette stature devienne terrible. Les représentants d’un peuple, sous un usurpateur, doivent être ses esclaves, pour n’être pas ses maîtres. Or, de tous les fléaux politiques, le plus effroyable est une assemblée qui n’est que l’instrument d’un seul homme. Nul n’oserait vouloir en son nom ce qu’il ordonne à ses agents de vouloir, lorsqu’ils se disent les interprètes libres du