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puissance, l’on n’a pas suffisamment distingué deux choses qui ne se ressemblent que sous ce rapport.


I

La monarchie, telle qu’elle existe dans la plupart des États européens, est une institution modifiée par le temps, adoucie par l’habitude. Elle est entourée de corps intermédiaires qui la soutiennent à la fois et la limitent, et sa transmission régulière et paisible rend la soumission plus facile et la puissance moins ombrageuse. Le monarque est en quelque sorte un être abstrait. On voit en lui non pas un individu, mais une race entière de rois, une tradition de plusieurs siècles.

L’usurpation est une force qui n’est modifiée ni adoucie par rien. Elle est nécessairement empreinte de l’individualité de l’usurpateur, et cette individualité, par l’opposition qui existe entre elle et tous les intérêts antérieurs, doit être dans un état perpétuel de défiance et d’hostilité.

La monarchie n’est point une préférence accordée à un homme aux dépens des autres ; c’est une suprématie consacrée d’avance : elle décourage les ambitions, mais n’offense point les vanités. L’usurpation exige de la part de tous une abdication immédiate en faveur d’un seul : elle soulève toutes les prétentions ; elle met en fermentation tous les amours-propres. Lorsque le mot de Pédarète porte sur trois cents hommes, il est moins difficile à prononcer que lorsqu’il porte sur un seul[1].

Ce n’est pas tout de se déclarer monarque héréditaire. Ce qui constitue tel, ce n’est pas le trône qu’on veut

  1. Pédarète, en sortant d’une assemblée dont il avait inutilement sollicité les suffrages, dit : Je rends grâces aux dieux de ce qu’il y a dans ma patrie trois cents citoyens meilleurs que moi.