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Il y a d’ailleurs parmi nous un assez grand nombre d’écrivains, toujours au service du système dominant, vrais lansquenets, sauf la bravoure, à qui les désaveux ne coûtent rien, que les absurdités n’arrêtent pas, qui cherchent partout une force dont ils réduisent les volontés en principes, qui reproduisent toutes les doctrines les plus opposées, et qui ont un zèle d’autant plus infatigable qu’il se passe de leur conviction. Ces écrivains ont répété à satiété, quand ils en avaient reçu le signal, que la paix était le besoin du monde ; mais ils disent en même temps que la gloire militaire est la première des gloires, et que c’est par l’éclat des armes que la France doit s’illustrer. J’ai peine à m’expliquer comment la gloire militaire s’acquiert autrement que par la guerre, et comment l’éclat des armes se concilie avec cette paix dont le monde a besoin. Mais que leur importe ? Leur but est de rédiger des phrases suivant la direction du jour. Du fond de leur cabinet obscur, ils vantent, tantôt la démagogie, tantôt le despotisme, tantôt le carnage, lançant, pour autant qu’il est en eux, tous les fléaux sur l’humanité, et prêchant le mal, faute de pouvoir le faire.

Je me suis demandé quelquefois ce que répondrait l’un de ces hommes qui veulent renouveler Cambyse, Alexandre ou Attila, si son peuple prenait la parole, et s’il lui disait : « La nature vous a donné un coup d’œil rapide, une activité infatigable, un besoin dévorant d’émotions fortes, une soif inextinguible de braver le danger pour le surmonter, et de rencontrer les obstacles pour les vaincre. Mais est-ce à nous à payer le prix de ces facultés ? N’existons-nous que pour qu’à nos dépens elles soient exercées ? Ne sommes-nous là que pour vous frayer de nos corps expirants une route vers la renommée ! Vous avez le génie des combats : que nous fait