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passion, a médité l’assassinat, ne laissera pas échapper le fer en approchant de sa victime ? La loi qui confond l’intention avec l’action est une loi essentiellement injuste. Le législateur ne réussit point à la concilier avec la justice, en ajoutant que l’intention ne sera punissable que lorsque le crime n’aura dû sa non-exécution qu’à des circonstances indépendantes de la volonté du criminel. Rien ne constate que, si ces circonstances ne s’étaient pas présentées, sa volonté n’aurait pas eu le même résultat. L’homme qui se prépare à commettre un crime éprouve toujours un degré de trouble, un pressentiment de remords, dont l’effet n’est pas calculable. Le bras levé sur celui qu’il va frapper, il peut abjurer encore un projet qui le révolte contre lui-même. Ne pas reconnaître cette possibilité jusqu’au dernier moment, c’est calomnier la nature humaine. N’en pas tenir compte, c’est fouler aux pieds l’équité.

Les délits politiques, séparés de l’homicide et de la rébellion à force ouverte, me semblent aussi ne pas devoir entraîner la peine de mort. Je crois premièrement que, dans un pays où l’opinion serait assez opposée au gouvernement pour que les conspirations y fussent dangereuses, les lois les plus sévères ne parviendraient pas à soustraire le gouvernement au sort qui atteint toute autorité contre laquelle l’opinion se déclare. Un parti qui n’est redoutable que par son chef n’est pas redoutable avec ce chef même. On s’exagère beaucoup l’influence des individus ; elle est bien moins puissante qu’on ne le pense, surtout dans notre siècle. Les individus ne sont que les représentants de l’opinion ; quand ils veulent marcher sans elle, leur pouvoir s’écroule. Si, au contraire, l’opinion existe, vous aurez beau tuer quelques-uns de ses représentants, elle en trouvera d’autres : la rigueur ne fera que l’irriter. L’on a dit que