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hors du territoire commandé l’obéissance passive, ils ont continué à leur commander cette obéissance contre leurs concitoyens. La question était pourtant toute différente. Pourquoi des soldats qui marchent contre une armée ennemie, sont-ils dispensés de tout raisonnement ? C’est que la couleur seule des drapeaux de cette armée prouve avec évidence ses desseins hostiles, et que cette évidence supplée à tout examen. Mais lorsqu’il s’agit des citoyens, cette évidence n’existe pas : l’absence du raisonnement prend alors un tout autre caractère. Il y a de certaines armes dont le droit des gens interdit l’usage, même aux nations qui se font la guerre ; ce que ces armes prohibées sont entre les peuples, la force militaire doit l’être entre les gouvernants et les gouvernés ; un moyen qui peut asservir toute une nation est trop dangereux pour être employé contre les crimes des individus.

La force armée a trois objets différents.

Le premier, c’est de repousser les étrangers. N’est-il pas naturel de placer les troupes destinées à atteindre ce but le plus près de ces étrangers qu’il est possible, c’est-à-dire sur les frontières ? Nous n’avons nul besoin de défense contre l’ennemi là où l’ennemi n’est pas.

Le second objet de la force armée, c’est de réprimer les délits privés, commis dans l’intérieur. La force destinée à réprimer ces délits doit être absolument différente de l’armée de ligne. Les Américains l’ont senti. Pas un soldat ne paraît sur leur vaste territoire pour le maintien de l’ordre public ; tout citoyen doit assistance au magistrat dans l’exercice de ses fonctions ; mais cette obligation a l’inconvénient d’imposer aux citoyens des devoirs odieux. Dans nos cités populeuses, avec nos relations multipliées, l’activité de notre vie, nos affaires, nos occupations et nos plaisirs, l’exécution d’une