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Or, dès qu’une dette nationale existe, il n’y a qu’un moyen d’en adoucir les effets nuisibles, c’est de la respecter scrupuleusement. On lui donne de la sorte une stabilité qui l’assimile, autant que le permet sa nature, aux autres genres de propriété.

La mauvaise foi ne peut jamais être un remède à rien. En ne payant pas les dettes publiques, l’on ajouterait aux conséquences immorales d’une propriété qui donne à ses possesseurs des intérêts différents de ceux de la nation dont ils font partie, les conséquences plus funestes encore de l’incertitude et de l’arbitraire. L’arbitraire et l’incertitude sont les premières causes de ce qu’on a nommé l’agiotage. Il ne se développe jamais avec plus de force et d’activité que lorsque l’État viole ses engagements : tous les citoyens sont réduits alors à chercher dans le hasard des spéculations quelques dédommagements aux pertes que l’autorité leur fait éprouver.

Toute distinction entre les créanciers, toute inquisition dans les transactions des individus, toute recherche de la route que les effets publics ont suivie, et des mains qu’ils ont traversées jusqu’à leur échéance, est une banqueroute. Un État contracte des dettes et donne en payement ses effets aux hommes auxquels il doit de l’argent. Ces hommes sont forcés de vendre les effets qu’il leur a donnés. Sous quel prétexte partirait-il de cette vente pour contester la valeur de ces effets ? Plus il contestera leur valeur, plus ils perdront. Il s’appuiera sur cette dépréciation nouvelle pour ne les recevoir qu’à un prix encore plus bas. Cette double progression réagissant sur elle-même réduira bientôt le crédit au néant et les particuliers à la ruine. Le créancier originaire a pu faire de son titre ce qu’il a voulu. S’il a vendu sa créance, la faute n’en est pas à lui que le besoin y a forcé, mais à l’État qui ne le payait qu’en effets qu’il s’est