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rait en tirer. Il y a donc perte relative pour la nation tout entière. Enfin, les moyens dont l’autorité doit se servir pour maintenir le privilège et pour repousser de la concurrence les individus non privilégiés, sont inévitablement oppressifs et vexatoires. Il y a donc encore, pour la nation tout entière, perte de liberté. Voilà trois pertes réelles que ce genre de prohibition en traîne, et le dédommagement de ces pertes n’est réservé qu’à une poignée de privilégiés.

Les prohibitions en fait d’industrie et de commerce mettent, comme toutes les autres prohibitions, et plus que toutes les autres, les individus en hostilité avec le gouvernement. Elles forment une pépinière d’hommes qui se préparent à tous les crimes, en s’accoutumant à violer les lois, et une autre pépinière d’hommes qui se familiarisent avec l’infamie, en vivant du malheur de leurs semblables[1].

Non-seulement les prohibitions commerciales créent des délits factices, mais elles invitent les hommes à commettre ces délits par le profit qu’elles attachent au succès de la fraude. C’est un inconvénient qu’elles ont de plus que les autres lois prohibitives[2]. Elles tendent des embûches à la classe indigente, à cette classe déjà entourée de trop de tentations irrésistibles, et dont on a dit avec raison que toutes ses actions sont précipitées[3], parce que le besoin la presse, que sa pauvreté la prive des lumières, et que son obscurité l’affranchit de l’opinion.

  1. L’état des contrebandiers arrêtés en France sous la monarchie était, année commune, de 10 700 individus, dont 2 300 hommes, 1 800 femmes et 6 600 enfants. Necker, Administration des finances, II, 57. Le corps de brigade chargé de cette poursuite était de plus de 2 300 hommes, et la dépense de 8 à 9 millions. Ibid., 82.
  2. Adam Smith, tome V, traduction de Garnier, p. 274 et suiv.
  3. Necker, Administration des finances, II, 98.