Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/267

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les journaux qui attaquaient les ministres disgraciés, parce que je savais que d’autres journaux pouvaient les défendre. Je m’amusais des caricatures contre M. Fox renvoyé du ministère, parce que les amis de M. Fox faisaient des caricatures contre M. Pitt, premier ministre. Mais la gaieté contre les faibles me semble une triste gaieté. Mon âme se refuse à remarquer le ridicule, quand ceux qu’on raille sont désarmés, et je ne sais pas écouter l’accusation, quand l’accusé doit se taire. Cette habitude corrompt un peuple ; elle détruit toute délicatesse réelle, et cette considération pourrait bien être un peu plus importante que la conservation intacte de ce qu’on appelle la fleur de la politesse et de la tenue française.

La seconde objection se tire des exemples de notre révolution. La liberté des journaux a existé, dit-on, à une époque célèbre, et le gouvernement d’alors, pour n’être pas renversé, a été contraint de recourir à la force. Il est difficile de réfuter cette objection sans réveiller des souvenirs que je voudrais ne pas agiter. Je dirai donc seulement qu’il est vrai que, durant quelques mois, la liberté des journaux a existé, mais qu’en même temps elle était toujours menacée ; que le Directoire demandait des lois prohibitives ; que les Conseils étaient sans cesse au moment de les décréter ; qu’en conséquence, ces menaces, ces annonces de prohibitions, jetaient dans les esprits une inquiétude qui, en les troublant dans la jouissance, les excitait à l’abus. Ils attaquaient, pour se défendre, sachant qu’on se préparait à les attaquer.

Je dirai ensuite qu’à cette époque il existait beaucoup de lois injustes, beaucoup de lois vexatoires, beaucoup de restes de proscriptions, et que la liberté des journaux