Page:Constant - Œuvres politiques, 1874.djvu/264

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui sont moins graves, il vaut mieux s’habituer aux intempéries de l’air que de vivre dans un souterrain. Quand les journaux sont libres comme en Angleterre, les citoyens s’aguerrissent. La moindre désapprobation,

    les circonstances de sa vie qui sont étrangères à la cause pour laquelle il est en jugement sont encore à lui, et ne doivent pas être divulguées.

    Étendez cette règle aux fonctionnaires publics, dans tout ce qui tient à leur existence privée. Les lois et les actes ministériels doivent, dans un pays libre, pouvoir être examinés sans réserve, mais les ministres comme individus doivent jouir des mêmes droits que tous les individus. Ainsi, lorsqu’une loi est proposée, liberté entière sur cette loi. Lorsqu’un acte qu’on peut soupçonner d’être arbitraire a été commis, liberté entière pour faire connaître cet acte : car un acte arbitraire ne nuit pas seulement à celui qui en est victime, il nuit à tous les citoyens qui peuvent être victimes à leur tour. Mais si dans l’examen de la loi, ou en faisant connaître l’acte arbitraire, l’écrivain cite des faits relatifs au ministre, et qui soient étrangers aux propositions qu’il appuie ou aux actes de son administration, qu’il soit puni pour cette mention seule, sans même que l’on examine si les faits sont faux ou s’ils sont injurieux.

    Cette mesure, purement répressive, répond à la plupart des objections qu’on allègue contre la liberté de la presse. « Si ma femme ou ma fille sont calomniées, a-t-on dit, les ferai-je sortir de leur modeste obscurité, pour poursuivre le calomniateur devant un tribunal ? Parlerai-je de leur honneur outragé, devant ce public léger et frivole qui rit toujours de ces sortes d’accusations, et qui répète sans cesse que les femmes les plus vertueuses sont celles qu’il ne connaît pas ? Si je suis calomnié moi-même, irai-je me plaindre, pendant six mois, devant des juges qui ne me connaissent point, et courir le risque de perdre mon procès, après avoir perdu beaucoup de temps et dépensé beaucoup d’argent pour payer des avocats ? Il est beaucoup de gens qui aimeront mieux supporter la calomnie que de poursuivre une procédure dispendieuse. On nous aura délivrés des censeurs pour nous renvoyer à des juges ; nous aurons toujours affaire à des hommes dont les jugements sont incertains, et qui pourront, au gré de leurs passions, décider de notre réputation, de notre repos et du bonheur de notre vie. »

    Rien de tout cela n’existera. Il n’y aura point de longueurs dans une procédure qui ne consistera que dans la vérification de l’identité, seule question soumise aux tribunaux, qui, l’identité constatée, n’auront qu’à appliquer la loi. Il n’y aura point d’examen de la vérité du fait. On ne descendra point dans l’intérieur des familles. Les citoyens n’auront point à craindre d’être désolés par des demi--