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Borner, comme on l’a fait souvent parmi nous, les mesures de rigueur aux ministres d’une religion, c’est tracer une limite illusoire. Ces mesures atteignent bientôt tous ceux qui professent la même doctrine, et elles atteignent ensuite tous ceux qui plaignent le malheur des opprimés. « Qu’on ne me dise pas, disait M. de Clermont-Tonnerre, en 1791, et l’événement a doublement justifié sa prédiction, qu’on ne me dise pas, qu’en poursuivant à outrance les prêtres qu’on appelle réfractaires, on éteindra toute opposition ; j’espère le contraire, et je l’espère par estime pour la nation française : car toute nation qui cède à la force, en matière de conscience, est une nation tellement vile, tellement corrompue, que l’on n’en peut rien espérer ni en raison, ni en liberté[1]. »

La superstition n’est funeste que lorsqu’on la protège ou qu’on la menace : ne l’irritez pas par des injustices ; ôtez-lui seulement tout moyen de nuire par des actions, elle deviendra d’abord une passion innocente, et s’éteindra bientôt, faute de pouvoir intéresser par ses souffrances, ou dominer par l’alliance de l’autorité.

Erreur ou vérité, la pensée de l’homme est sa propriété la plus sacrée ; erreur ou vérité, les tyrans sont également coupables lorsqu’ils l’attaquent. Celui qui proscrit au nom de la philosophie la superstition spéculative, celui qui proscrit au nom de Dieu la raison indépendante, méritent également l’exécration des hommes de bien.

Qu’il me soit permis de citer encore, en finissant, M. de Clermont-Tonnerre. On ne l’accusera pas de principes exagérés. Bien qu’ami de la liberté, ou peut-

  1. Réflexions sur le fanatisme, réimprimées dans les Œuvres complètes de Stanislas de Clermont-Tonnerre, Paris, an III, t. IV, page 98.