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est toléré. Aucune institution ne lui échappe. Il les annule toutes dans leur hase. Il trompe la société par des formes qu’il rend impuissantes. Toutes les promesses deviennent des parjures, toutes les garanties des piéges pour les malheureux qui s’y confient.

Lorsqu’on excuse l’arbitraire, ou qu’on veut pallier ses dangers, on raisonne toujours, comme si les citoyens n’avaient de rapports qu’avec le dépositaire suprême de l’autorité. Mais on en a d’inévitables et de plus directs avec tous les agents secondaires. Quand vous permettez l’exil, l’emprisonnement, ou toute vexation qu’aucune loi n’autorise, qu’aucun jugement n’a précédée, ce n’est pas sous le pouvoir du monarque que vous placez les citoyens, ce n’est pas même sous le pouvoir des ministres : c’est sous la verge de l’autorité la plus subalterne. Elle peut les atteindre par une mesure provisoire, et justifier cette mesure par un récit mensonger. Elle triomphe pourvu qu’elle trompe, et la faculté de tromper lui est assurée. Car, autant le prince et les ministres sont heureusement placés pour diriger les affaires générales et pour favoriser l’accroissement de la prospérité de l’État, de sa dignité, de sa richesse et de sa puissance, autant l’étendue même de ces fonctions importantes leur rend impossible l’examen détaillé des intérêts des individus ; intérêts minutieux et imperceptibles, quand on les compare à l’ensemble, et non moins sacrés toutefois, puisqu’ils comprennent la vie, la liberté, la sécurité de l’innocence. Le soin de ces intérêts doit donc être remis à ceux qui peuvent s’en occuper, aux tribunaux, chargés exclusivement de la recherche des griefs, de la vérification des plaintes, de l’investigation des délits ; aux tribunaux, qui ont le loisir, comme ils ont le devoir, de tout approfondir, de tout peser dans une balance exacte ; aux