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directe indispensable. Une peuplade de cent mille hommes pourrait investir un sénat du droit de nommer ses députés ; des républiques fédératives le pourraient encore : leur administration intérieure ne courrait au moins pas de risques. Mais dans tout gouvernement qui tend à l’unité, priver les fractions de l’État d’interprètes nommés par elle, c’est créer des corporations délibérant dans le vague, et concluant de leur indifférence pour les intérêts particuliers à leur dévouement pour l’intérêt général.

Ce n’est pas le seul inconvénient de la nomination des mandataires du peuple par un sénat.

Ce mode détruit d’abord un des plus grands avantages du gouvernement représentatif, qui est d’établir des relations fréquentes entre les diverses classes de la société. Cet avantage ne peut résulter que de l’élection directe[1]. C’est cette élection qui nécessite, de la part des classes puissantes, des ménagements soutenus envers les classes inférieures. Elle force la richesse à dissimuler son arrogance, le pouvoir à modérer son action, en plaçant dans le suffrage de la partie la moins opulente des propriétaires une récompense pour la justice et pour la bonté, un châtiment contre l’oppression. Il ne faut pas renoncer légèrement à ce moyen journalier de bonheur et d’harmonie, ni dédaigner ce motif de bienfaisance qui peut d’abord n’être qu’un calcul, mais qui bientôt devient une vertu d’habitude[2].

  1. Je dois observer que cette considération milite également avec force contre l’idée de confier l’élection aux plus imposés de chaque département.
  2. On objectera, peut-être, qu’en accordant, comme je le fais plus loin, les droits politiques aux propriétaires seuls, je diminue cet avantage du système représentatif. Mais, 1o  j’accorde ces droits politiques aux possesseurs de propriétés tellement modiques, qu’ils seront toujours, malgré leurs propriétés, dans une dépendance sinon