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l’étendue de ces sacrifices, et c’est l’un des grands avantages de leur mode de nomination. La nécessité finit toujours par les réunir dans une transaction commune ; et plus les choix ont été sectionnaires, plus la représentation atteint son but général. Si vous renversez la gradation naturelle, si vous placez le corps électoral au sommet de l’édifice, ceux qu’il nomme se trouvent appelés à prononcer sur un intérêt public dont ils ne connaissent pas les éléments ; vous les chargez de transiger pour des parties dont ils ignorent ou dont ils dédaignent les besoins. Il est bon que le représentant d’une section soit l’organe de cette section ; qu’il n’abandonne aucun de ses droits réels ou imaginaires qu’après les avoir défendus ; qu’il soit partial pour la section dont il est le mandataire, parce que, si chacun est partial pour ses commettants, la partialité de chacun, réunie et conciliée, aura les avantages de l’impartialité de tous.

Les assemblées, quelque sectionnaire que puisse être leur composition, n’ont que trop de penchant à contracter un esprit de corps qui les isole de la nation. Placés dans la capitale, loin de la portion du peuple qui les a nommés, les représentants perdent de vue les usages, les besoins, la manière d’être du département qu’ils représentent ; ils deviennent dédaigneux et prodigues de ces choses : que sera-ce si ces organes des besoins publics sont affranchis de toute responsabilité locale[1], mis pour jamais au-dessus des suffrages de leurs concitoyens, et choisis par un corps placé, comme on le veut, au sommet de l’édifice constitutionnel ?

Plus un État est grand, et l’autorité centrale forte, plus un corps électoral unique est inadmissible, et l’élection

  1. L’on sent bien qu’ici, par le mot de responsabilité, je n’entends point une responsabilité légale, mais une responsabilité d’opinion.