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punis, et l’on établit des règles de suspicion en vertu desquelles tous les suspects sont menacés. Mais quand il y a vingt mille coupables, il y a deux millions de suspects.

Aussi, voyez ce que disent sur les effets de ces lois leurs défenseurs mêmes. Ecoutez le plus éloquent, et j’ajouterai le plus libéral d’entre eux ; car, même en défendant un mauvais système, il a rendu un digne hommage aux principes, et prouvé que son caractère était aussi noble que son esprit est distingué. Écoutez-le, dis-je, quand il décrit les résultats de la loi du 29 octobre (1815) : Le reste des partis se disputant l’usage du pouvoir discrétionnaire, l’esprit de délation se couvrant du masque du zèle, détruisant toute confiance au sein des familles, sapant avec les fondements de la tranquillité publique et privée ceux de la morale[1].

Il parlait ainsi, je le sais, d’une loi abrogée. Mais ne jugeons pas les lois d’exception par ce qu’on en dit tant qu’elles subsistent. On ne s’explique publiquement sur leur compte, comme sur celui des rois, qu’après leur mort. Or, voilà ce qu’on dit de chaque loi d’exception, dès l’instant qu’elle est révoquée. Ceux qui vantent la loi d’aujourd’hui s’en vengent sur celle d’hier. N’est-ce pas un préjugé fâcheux pour ces lois que la nécessité de cette tactique ? Elles sont tellement odieuses à la majorité des hommes, que, pour en faire adopter une, il faut commencer par flétrir toutes celles qui l’ont précédée.

L’on a prétendu, dans plus d’un libelle, que je n’avais

  1. Discours de M. Camille Jordan, du 14 janvier 1817. (Discours de C. Jordan, Paris, 1826, p. 76.)