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nistre qui subirait une punition flétrissante avilirait dans l’esprit du peuple le ministre encore en pouvoir.

Enfin, l’espèce humaine n’a que trop de penchant à fouler aux pieds les grandeurs tombées. Gardons-nous d’encourager ce penchant. Ce qu’après la chute d’un ministre on appellerait haine du crime, ne serait le plus souvent qu’un reste d’envie, et du dédain pour le malheur.

La constitution n’a point limité le droit de grâce appartenant au chef de l’État. Il peut donc l’exercer en faveur des ministres condamnés.

Je sais que cette disposition a porté l’alarme dans plus d’un esprit ombrageux. Un monarque, a-t-on dit, peut commander à ses ministres des actes coupables, et leur pardonner ensuite. C’est donc encourager par l’assurance de l’impunité le zèle des ministres serviles et l’audace des ministres ambitieux.

Pour juger cette objection, il faut remonter au premier principe de la monarchie constitutionnelle, je veux dire à l’inviolabilité. L’inviolabilité suppose que le monarque ne peut pas mal faire. Il est évident que cette hypothèse est une fiction légale, qui n’affranchit pas réellement des affections et des faiblesses de l’humanité l’individu placé sur le trône. Mais l’on a senti que cette fiction légale était nécessaire pour l’intérêt de l’ordre et de la liberté même, parce que sans elle tout est désordre et guerre éternelle entre le monarque et les factions. Il faut donc respecter cette fiction dans toute son étendue. Si vous l’abandonnez un instant, vous retombez dans tous les dangers que vous avez tâché d’éviter. Or, vous l’abandonnez, en restreignant les prérogatives du monarque, sous le prétexte de ses intentions. Car c’est admettre que ses intentions peuvent être soupçonnées. C’est donc admettre qu’il peut vouloir le