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che en avant et que l’imprimerie enregistre ses progrès, il n’est plus d’invasion de barbares, plus de coalition d’oppresseurs, plus d’évocation de préjugés, qui puissent le faire rétrograder. Il faut que les lumières s’étendent, que l’espèce humaine s’égalise et s’élève, et que chacune de ces générations successives que la mort engloutit laisse du moins après elle une trace brillante qui marque la route de la vérité[1].


  1. On ne saurait trop recommander les pages ci-dessus à l’attention des lecteurs français : sous l’ancienne monarchie comme dans les temps modernes, les gouvernants pas plus que les gouvernés ne se sont renfermés dans les limites légales. Les diverses écoles politiques qui se sont produites chez nous depuis quatre-vingts ans n’ont fait que masquer sous le vain nom de liberté, leurs théories autoritaires. Entre les ultramontains et les radicaux socialistes, il n’y a que la différence des mots ; les uns et les autres n’ont fait que des dupes, et les dupes ont toujours formé chez nous la grande majorité. Les intrigants, les ambitieux et les parleurs sont sûrs d’entraîner la foule du moment où ils lui font des promesses irréalisables ; arbitraire monarchique, arbitraire révolutionnaire, voilà les deux termes extrêmes entre lesquels nous flottons depuis tantôt un siècle. Ces générations successives que la mort engloutit, et qui devraient, suivant le mot de Benjamin Constant, laisser après elles une trace brillante qui marque la route de la vérité, n’ont laissé que les plus tristes exemples. Les jacobins, serviles imitateurs des excès de la monarchie qu’ils avaient renversée, ont rappelé, par le tribunal révolutionnaire, ou plutôt par le ramas d’assassins qu’on décorait du nom de juges, les juges de tyrannie de Louis XI et de Richelieu. Les terroristes ont trouvé de notre temps des apologistes et des imitateurs. Ainsi que nous l’avons dit ailleurs, « nous avons traversé tous les excès du despotisme et de l’anarchie, les émeutes, les coups de main révolutionnaires, les coups d’État césariens. La notion des devoirs qu’impose au pays l’exercice de sa propre souveraineté s’est perdue au milieu des bouleversements, et le jour où des désastres inouïs, en livrant Paris à lui-même, ont fait disparaître les dernières garanties de l’ordre et de la liberté, qui n’est que la sécurité pour tous, suivant la belle définition de Montesquieu, la Commune a éclaté, non pas, ainsi que le prétendent ceux qui cherchent encore à la justifier, comme la réaction d’un patriotisme aveugle et désespéré, contre les soupçons de trahison qui circulaient dans l’air, mais comme l’explosion des forces destructives lentement accumulées dans les bas-fonds de la