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blables, et l’égoïsme le plus inquiet ne parvient pas à les briser tous. Vous vous croyez invulnérable dans votre obscurité volontaire : mais vous avez un fils, la jeunesse l’entraîne ; un frère moins prudent que vous se permet un murmure ; un ancien ennemi, qu’autrefois vous avez blessé, a su conquérir quelque influence ; votre maison d’Albe charme les regards d’un prétorien. Que ferez-vous alors ? Après avoir, avec amertume, blâmé toute réclamation, rejeté toute plainte, vous plaindrez-vous à votre tour ? Vous êtes condamné d’avance, et par votre propre conscience, et par cette opinion publique avilie que vous avez contribué vous-même à former. Céderez-vous sans résistance ? mais vous permettra-t-on de céder ? N’écartera-t-on pas, ne poursuivra-t-on point un objet importun, monument d’une injustice ? Des innocents ont disparu, vous les avez jugés coupables ; vous avez donc frayé la route où vous marchez à votre tour.

L’arbitraire, soit qu’il s’exerce au nom d’un seul ou au nom de tous, poursuit l’homme dans tous ses moyens de repos et de bonheur[1].

  1. Les pays gouvernés despotiquement présentent de loin une surface assez calme, mais combien cette apparence est trompeuse ! Sous le despotisme, on n’écrit point, on communique peu, on ne s’informe pas du sort de son voisin ; on craint d’avoir une plainte à faire, une tristesse à livrer aux soupçons, aux interprétations, un mécontentement à laisser percer ; personne n’ose compter les victimes ; mais est-ce à dire qu’il n’y en ait pas ? Pèse-t-on ces larmes silencieuses, ces douleurs muettes, ces calamités ignorées dont les ravages sont d’autant plus terribles que rien ne les arrête ?… La paix publique semble exister ; vaine illusion ! dans une multitude