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fixes, qu’elles ne laissent à la tyrannie aucune entrée, à l’envahissement aucun prétexte.

Le caractère du machiavélisme, c’est de préférer à tout l’arbitraire. L’arbitraire sert mieux tous les abus de pouvoir qu’aucune institution fixe, quelque défectueuse qu’elle puisse être. Aussi les amis de la liberté doivent préférer les lois défectueuses aux lois qui prêtent à l’arbitraire, parce qu’il est possible de conserver de la liberté sous des lois défectueuses, et que l’arbitraire rend toute liberté impossible.

L’arbitraire est donc le grand ennemi de toute liberté, le vice corrupteur de toute institution, le germe de mort qu’on ne peut ni modifier, ni mitiger, mais qu’il faut détruire.

Si l’on ne pouvait imaginer une institution sans arbitraire, ou qu’après l’avoir imaginée on ne pût la faire marcher sans arbitraire, il faudrait renoncer à toute institution, repousser toute pensée, s’abandonner au hasard, et, selon ses forces, aspirer à la tyrannie, ou s’y résigner.

Mais, en se pénétrant bien d’une salutaire horreur pour l’arbitraire, il faut se garder aussi de prendre pour de l’arbitraire ce qui n’en est pas. Je vois des hommes bien intentionnés commettre cette méprise, et en conclure la nécessité de l’arbitraire.

Ils confondent avec l’arbitraire toute latitude accordée à l’action du gouvernement, lors même que cette latitude est déterminée, et ils tombent alternativement dans deux excès opposés.

Tantôt ils ôtent toute latitude : la machine s’arrête faute d’espace ; alors ils se rejettent dans l’autre extrême ; ils accordent une latitude indéfinie, et la machine se disjoint, faute de liens qui retiennent les parties ensemble.