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teindre, vous, innocent. Mais ce que vous faites contre vos ennemis par l’arbitraire, vos ennemis pourront aussi le faire contre vous par l’arbitraire ; car l’arbitraire est vague et sans bornes : innocent ou coupable, il vous atteindra.

Lors de la conspiration de Babœuf, des hommes s’irritaient de l’observance et de la lenteur des formes. Si les conspirateurs avaient triomphé, s’écriaient-ils, auraient-ils observé contre nous toutes ces formes ? Et c’est précisément parce qu’ils ne les auraient pas observées que vous devez les observer : c’est là ce qui vous distingue : c’est là, uniquement là, ce qui vous donne le droit de les punir ; c’est là ce qui fait d’eux des anarchistes, de vous des amis de l’ordre.

Lorsque les tyrans de la France, ayant voulu rétablir leur affreux empire le 1er prairial de l’an III, eurent été terrassés et vaincus, on créa, pour juger les conspirateurs, des commissions militaires, et les réclamations de quelques hommes scrupuleux et prévoyants ne furent pas écoutées. Ces commissions militaires enfantèrent les conseils militaires du 13 vendémiaire an IV. Ces conseils militaires produisirent les commissions militaires de fructidor de la même année ; et ces dernières ont produit les tribunaux militaires du mois de ventôse an V.

Je ne discute point ici la légalité ni la compétence de ces différents tribunaux. Je veux seulement prouver qu’ils s’autorisent et se perpétuent par l’exemple ; et je voudrais qu’on sentît enfin qu’il n’y a, dans l’incalculable succession des circonstances, aucun individu assez privilégié, aucun parti revêtu d’une puissance assez durable, pour se croire à l’abri de sa propre doctrine, et ne pas redouter que l’application de sa propre théorie ne retombe tôt ou tard sur lui.