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Or, l’élément organique des sociétés n’est point l’homme individu, dont la constitution physique, l’intelligence et les passions restent invariables dans leur essence et dans leurs rapports, quelle que soit la forme sociale ; cet élément est la première association d’individus réunis sur un point du globe, et concourant à l’exécution plus ou moins parfaite des fonctions déjà définies. Tous les progrès qui ne modifient point la constitution intime de ce premier élément social peuvent exercer sans doute une influence sur le développement des sociétés, mais n’atteignent pas la base même de l’organisme ; ils n’opèrent jamais de ces transformations essentielles qui indiquent visiblement une ascension vers l’unité future. L’évolution sociale s’exécute par deux mouvements d’expansion alternatifs et réagissant l’un sur l’autre. Le premier produit les formes diverses qu’affecte l’élément organique, le second produit les rayonnements et les relations dont les éléments sont susceptibles sous chacune de ces formes. Celui-ci est infailliblement déterminé dès que le premier a obtenu son effet ; mais son influence sur la suite du mouvement n’est point aussi nécessairement inévitable. Ce sont donc les transformations de l’élément organique qui caractérisent les phases diverses du mouvement social et qui sont les indices de la décadence ou du progrès. Ainsi, lorsque les familles de la horde sauvage, renonçant à la vie nomade, se fixent quelque part sur le sol, commencent à cultiver la terre et à créer les premiers rudiments des arts et de l’industrie, il s’effectue parmi ces peuples un progrès bien plus sensible et bien plus important que si, conservant leur premier genre de vie, ils eussent organisé l’état social sauvage en perfectionnant le système de relations qu’il comporte. En prenant des exemples plus rapprochés de nous, ne peut-on pas affirmer que l’événement le plus décisif pendant la formation de notre société française a été l’affranchissement des serfs dans les communes ? L’organisation nouvelle du travail, produite par ce seul fait dans chaque commune de France, n’a-t-elle pas inauguré dans notre patrie un ordre social nouveau ? Et croit-on qu’un perfectionnement des anciennes relations sociales, sans modification de l’élément organique, aurait élevé la France à cette unité qui la distingue des autres nations et qui fait sa véritable supériorité ? Il vient un temps où les sociétés doivent se transformer dans la constitution de leurs éléments, sous peine de se dissoudre et de périr.

Nous sommes parvenus à l’une de ces époques décisives de la vie des nations. Si les efforts des générations qui nous ont précédés ont obtenu définitivement le libre exercice du travail, il reste encore un progrès essentiel à faire après la conquête de la liberté. Ce progrès consiste dans une organisation