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Pendant que les sociétés subissent dans leur évolution une série de transformations organiques, qui a pour premier terme la séparation complète des éléments et pour limite extrême leur coordination parfaite dans une harmonique unité, l’individu, au milieu des combinaisons diverses dont il est la molécule première, reste immuable dans sa nature, et présente toujours la même organisation physique, les mêmes passions, les mêmes facultés. En remontant à l’idée qui sert de base à toutes nos réflexions, nous devons considérer la vie individuelle comme l’exercice d’une fonction partielle, se ralliant à la fonction générale de l’humanité et y concourant pour sa part. L’homme ne pouvant se modifier dans son organisation individuelle qui est invariable (du moins dans les conditions essentielles de son être), c’est donc la forme sociale qui doit changer, et qui change en effet, pour se prêter de mieux en mieux à l’accomplissement de l’œuvre générale par l’exercice des fonctions partielles combinées. Or, les œuvres partielles et spéciales réservées à chaque individu étant déterminées par la nature de ses facultés, chaque homme tend, selon la mesure de son énergie, et sans avoir, dans le plus grand nombre de cas, la conscience de ce qu’il produit, à un arrangement social qui le placerait dans les circonstances les plus favorables, à l’exercice des fonctions auxquelles est attaché son bonheur. Le mouvement de transformation des sociétés est déterminé par la résultante de toutes ces forces marchant, chacune de son côté, à un même but, à une forme sociale telle que chaque nation, chaque individu ait enfin conquis sa véritable place, sa fonction naturelle dans l’ordre social. Tant que ce milieu qui doit utiliser tous les essors humains n’est pas réalisé, l’accord entre les nations, entre les individus, est d’une impossibilité manifeste. L’instabilité est dans l’essence même des choses sociales. La force règne en souveraine, et c’est à elle que recourent les peuples et les rois lorsque des intérêts ou des passions les divisent ; c’est à ses jugements iniques qu’ils confient leurs destinées incertaines. L’ordre et la justice ne parviendront à remplacer le désordre et la violence que le jour seulement où la société offrira spontanément à tous les hommes, sans qu’ils soient obligés d’en faire la pénible conquête, les moyens d’utiliser ces forces presque entièrement consacrées aujourd’hui à se créer un emploi. Toute la partie de la puissance humaine dépensée dans les efforts que nécessite la formation de l’unité sera rendue alors à sa destination naturelle que nous avons déjà plusieurs fois définie.

Notre but étant de présenter seulement quelques-unes des généralités de la théorie des fonctions, nous n’entreprendrons pas de déterminer cet état normal d’organisation qui est la