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fini, elle passa brusquement, d’un geste décidé, son bras sous celui du jeune homme, et l’entraîna doucement vers la grille du parc. Conscient de sa fermeté, il céda tout de suite à cette impulsion, comme les deux hommes avaient un instant auparavant, obéi sans hésiter au signe de sa main.

Ils firent ainsi quelques pas.

« Non Razumov ; vos idées sont probablement justes », dit-elle. « Vous pouvez être précieux, très précieux ! Mais ce qu’il y a, au fond de vous, c’est que vous ne nous aimez pas ! »

Elle lui lâcha le bras, tandis qu’il lui adressait un sourire glacial.

« Exige-t-on de moi de l’amour, en même temps que des convictions ? »

Elle haussa les épaules.

« Vous savez bien ce que je veux dire ! Il y a des gens qui n’ont pas cru à la loyauté de votre cœur : c’est une opinion que j’ai entendu exprimer de côté et d’autre. Mais moi, je vous ai compris, dès la fin du premier jour ; et… »

Razumov l’interrompit d’un ton ferme.

« Je vous assure que, pour une fois, votre perspicacité se trouve en défaut. »

« Quelles phrases il fait ! » s’écria-t-elle ; « Ah, Kirylo Sidorovitch, vous êtes dédaigneux, égoïste, et vous vous épouvantez de bagatelles, comme les autres hommes. D’ailleurs vous n’aviez pas d’expérience. Ce qu’il vous faut, c’est d’être pris en mains par une femme. Je regrette de ne pas passer quelques jours ici. Je repartirai demain pour Zurich, en emmenant sans doute Yakovlicht avec moi. »

Ces paroles réconfortèrent Razumov.

« Je le regrette aussi », dit-il. « Mais, malgré tout, je ne crois pas que vous me compreniez. »

Il respirait plus librement, tandis qu’elle reprenait, sans protester : « Et comment cela va-t-il avec Pierre Ivanovitch ? Vous vous êtes beaucoup vus. Faites-vous bon ménage ? »

Ne sachant que répondre, Razumov baissa lentement la tête.

Elle referma, en un mouvement de réflexion, les lèvres qu’elle avait gardées ouvertes, dans l’attente.

« Très bien », dit-elle.

Ces paroles semblaient définitives, mais elle ne quitta pourtant pas le jeune homme, qui ne pouvait deviner l’objet de sa préoccupation. Il murmura :