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compris, avait écouté ses confidences, l’avait encouragé peut-être, les lèvres de la jeune fille tremblèrent, ses yeux se remplirent de larmes ; elle tendit la main, et fit en avant un pas instinctif en disant, avec un effort pour contenir son émotion : « Ne pouvez-vous pas deviner qui je suis ? » Il ne prit pas la main offerte et recula même d’un pas, donnant à Mlle Haldin l’impression d’un homme douloureusement affecté. Mais elle excusait son geste et réservait pour elle-même son mécontentement. Elle s’était conduite de façon indigne, comme une petite Française nerveuse. Les manifestations de ce genre ne pouvaient pas plaire à un homme de caractère sévère et contenu.

Il fallait en effet qu’il fût bien sévère ou peut-être très timide devant les femmes, pensais-je en moi-même, pour ne pas répondre de façon plus humaine aux avances d’une fille comme Nathalie Haldin. Ces existences nobles et solitaires, (ces paroles me revinrent tout à coup), rendent souvent les jeunes gens timides et les vieillards sauvages.

« Eh bien » ? insistai-je, pour encourager Mlle Haldin.

Elle était encore très mécontente d’elle-même.

« Je me suis de plus en plus mal comportée », fit-elle, avec un air de découragement très rare chez elle. « J’ai fait tout ce que l’on pouvait faire d’absurde. J’ai pourtant évité de fondre en larmes : je suis heureuse de le dire. Mais je suis restée longtemps sans pouvoir parler ! »

Elle s’était tenue muette devant le jeune homme, réprimant des sanglots et, lorsqu’elle put prononcer un mot, c’est seulement le nom de son frère qu’elle soupira : « Victor… Victor Haldin ! » – puis la voix lui manqua de nouveau.

« Bien entendu », m’expliqua-t-elle, « ce nom lui causa une émotion violente. Il était tout à fait démonté ! Je vous ai dit mon opinion sur la profondeur de ses sentiments : il est impossible d’en douter. Si vous aviez vu sa figure ! Il chancelait, positivement, et dut s’appuyer contre le mur de la terrasse. Leur amitié était évidemment une véritable fraternité d’âmes ! Je lui ai su gré de cette émotion qui me faisait sentir moins vivement la honte de mon manque de tenue. Naturellement j’avais presque aussitôt retrouvé la parole. Tout cela ne dura que quelques secondes. « Je suis sa sœur », dis-je. « Peut-être avez-vous entendu parler de moi ? »

« Était-ce exact ? » interrompis-je.

« Je ne sais pas. Comment aurait-il pu en être autrement ? Et pourtant… Mais qu’importe ? Je restais là, en face de lui ; et certainement je n’avais pas un air d’imposture. Tout ce que je puis dire