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Plusieurs jours s’écoulèrent sans que je rencontrasse à nouveau Nathalie Haldin. Je traversais un jour la place du théâtre, lorsque j’aperçus sa silhouette élégante au seuil de la peu attrayante promenade des Bastions. Elle en franchissait la porte et me tournait le dos mais je savais que nous devions nous rencontrer, lorsqu’elle redescendrait l’allée principale, si toutefois elle ne regagnait pas son logis. Je crois que dans ce cas je n’aurais pas encore été la voir. Mon désir restait aussi fort que jamais de la tenir à l’écart des révolutionnaires, mais je ne m’illusionnais pas sur mon influence. Je n’étais qu’un Occidental et, manifestement, Mlle Haldin ne pouvait ni ne voulait écouter ma sagesse ; quant à mon désir d’entendre sa voix, c’était un plaisir auquel il valait mieux, pensais-je, ne pas trop m’abandonner. Non, je ne serais pas allé Boulevard des Philosophes, mais lorsque je vis, vers le milieu de la grande allée, Mlle Haldin venir à moi, la curiosité et l’honnêteté aussi peut-être, m’empêchèrent de fuir.

Il y avait dans l’air une certaine rudesse de printemps ; le ciel bleu était dur, mais les jeunes feuilles mettaient un brouillard léger sur la rangée banale des arbres, et le soleil clair allumait de petits points d’or dans le gris des yeux francs que Mlle Haldin tournait vers moi, en un regard d’accueil amical.

Je m’enquis de la santé de sa mère.

Elle eût un léger haussement d’épaules et un soupir attristé… puis :

« Vous voyez pourtant que je suis venue faire une promenade, un peu d’exercice, comme vous dites en Angleterre. »

J’eus un sourire approbateur, tandis qu’elle ajoutait, de façon inattendue :

« Quelle journée splendide ! »

Sa voix un peu rude, mais captivante, avec son timbre masculin et ses accents d’oiseau, avait un accent de conviction profonde, qui me rendit heureux. On aurait dit qu’elle avait pris enfin conscience de sa jeunesse, car la gloire printanière n’éclairait guère le rectangle enclos de grilles, où pelouses et arbres s’encadraient des pentes régulières des toits de cette ville dont la correction est sans grâce et l’hospitalité