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calme… » Il éleva un index significatif : Du calme, du calme. Adieu…

« Il ne restait plus qu’à prendre congé de mon excellente tante. Je la trouvai triomphante. Elle m’offrit une tasse de thé — la dernière tasse de thé convenable pour combien de jours ! — et dans une pièce qui répondait de la manière la plus flatteuse à l’idée qu’on se fait du salon d’une dame, nous eûmes une longue causerie tranquille au coin du feu. Au cours de ces confidences, il m’apparut clairement que j’avais été représenté à la femme du haut dignitaire — et Dieu sait à combien d’autres encore ? comme un être exceptionnellement doué, — une chance pour la Compagnie ! — un des hommes dont on ne s’attache pas le pareil tous les jours… N’empêche qu’avec tout cela, c’était d’un méchant raffiau de quatre sous que j’allais prendre charge, sans parler du sifflet d’un sou qui le complétait ! Du moins j’allais être désormais l’un des Pionniers avec un grand P, s’il vous plaît !… Quelque chose comme un émissaire de lumière, une espèce d’apôtre au petit-pied… Un flot de sornettes de ce genre avait été lâché à cette époque, en paroles et en écrits, et la brave femme qui vivait au cœur même de cette plaisanterie en avait tout simplement perdu la tête. Elle ne parlait que d’ « arracher ces millions de créatures ignorantes à leurs affreuses coutumes », si bien que je finis par me sentir gêné. Je me ris-