cause et sans doute avait-il éprouvé enfin le besoin de manifester sa dignité d’une manière ou d’une autre. Il se mit donc à rosser impitoyablement le vieux nègre sous les yeux des indigènes terrorisés, jusqu’au moment où quelqu’un — le fils du chef, me dit-on, — poussé au désespoir par les hurlements du vieillard, fit le geste de pousser vers l’homme blanc la pointe d’une lance, qui, bien entendu, pénétra sans la moindre difficulté entre les deux omoplates. Sur quoi la population tout entière se dispersa dans la forêt, persuadée que les pires calamités allaient se produire, cependant que d’un autre côté le vapeur que commandait Fresleven fuyait dans un coup de panique, sous les ordres, je crois, du mécanicien. Ensuite, nul ne parut se soucier beaucoup des restes de Fresleven jusqu’au jour où j’arrivai là-bas pour chausser ses pantoufles. Je ne pouvais laisser les choses en l’état, mais quand une occasion enfin se présenta pour moi de rencontrer mon prédécesseur, l’herbe qui lui croissait entre les côtes était assez haute pour dissimuler ses os. Ils y étaient tous. On n’avait point touché à l’être surnaturel, après sa chute. Et le village était abandonné, les cases béaient, noires, pourrissantes, toutes disloquées entre les enclos renversés. Les calamités effectivement s’étaient abattues sur lui. Quant aux gens ils s’étaient évanouis. Une terreur aveugle avait tout dispersé, hommes, femmes, enfants, dans la brousse : et ils
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