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chiez comment je fus amené là-bas, ce que j’y vis et comment je remontai ce fleuve jusqu’à l’endroit où pour la première fois je me trouvai en présence du pauvre diable. C’était le point extrême accessible à la navigation : ce fut aussi le point culminant de mon aventure. Il me parut répandre une sorte de lumière sur toutes choses autour de moi et dans mes pensées. Il était sombre à souhait, cependant — et lamentable — point extraordinaire en quoi que ce fût — pas très clair non plus… Non, pas très clair… — Et néanmoins, il semblait répandre une espèce de lumière… »

« Je venais tout juste à ce moment, vous vous en souvenez, de rentrer à Londres, après force service dans l’Océan Indien, le Pacifique, les mers de Chine — une dose régulière d’Extrême-Orient, quoi !… Six ans ou peu s’en faut — et je flânais de-ci de-là, vous empêchant de travailler et envahissant vos foyers, tout comme si j’avais reçu mission du Ciel de vous civiliser. Ce fut charmant pour un temps, mais j’en eus bientôt assez de me reposer. Je commençai alors à chercher un navire — la plus dure corvée, je crois bien, qui soit au monde. Mais les navires ne daignaient même pas s’apercevoir de mon existence. Et de ce jeu-là aussi, je finis par me lasser.

« Or quand j’étais gamin, j’avais la passion des cartes. Je restais des heures à considérer l’Amérique du Sud, ou l’Afrique ou l’Australie — perdu