à l’autre de la foule, passa le long des têtes, fit osciller les corps, courut le long de l’appontement comme une ride sur l’eau, comme le souffle du vent sur un champ, puis tout reprit son immobilité. Je revois tout cela, — le vaste cercle de la baie, les sables qui scintillent, la richesse d’une verdure infinie et variée, la mer bleue comme une mer de rêve, la foule des visages attentifs, l’éclat des couleurs crues, — l’eau qui réfléchit tout, la courbe du rivage, l’appontement, le navire exotique avec sa poupe élevée, qui flotte immobile, et les trois canots, avec ses hommes accablés, venus d’Occident, et qui dorment sans souci de la terre et des hommes, ni de l’ardeur du soleil. Ils dormaient, en travers des bancs, tassés en rond sur les planches du fond, dans des attitudes abandonnées, comme des morts. La tête du vieux capitaine, appuyée à l’arrière du grand canot, était retombée sur sa poitrine et on aurait dit qu’il n’allait jamais se réveiller. Plus loin la figure du vieux Mahon était tournée vers le ciel, sa longue barbe blanche étalée, comme s’il avait été frappé d’une balle, tandis qu’il tenait la barre ; et un homme, affalé à l’avant du canot, dormait en entourant l’étrave de ses deux bras, et la joue collée contre le plat-bord. L’Orient les contemplait en silence.
« Depuis lors j’ai connu sa séduction : j’ai vu des rivages mystérieux, l’eau immobile, les terres de nations brunes, où une Némésis furtive épie,