« Alors on coupa la bosse du grand canot et les trois embarcations amarrées ensemble s’écartèrent du navire. Seize heures exactement s’étaient écoulées depuis l’explosion, quand nous l’abandonnâmes. Mahon avait la charge du second canot et moi du plus petit, celui de quatorze pieds. Le grand canot aurait pu nous prendre tous : mais le patron avait déclaré qu’il fallait sauver autant de matériel qu’on le pouvait, — pour les assureurs. Et c’est ainsi que j’obtins mon premier commandement. J’avais deux hommes avec moi, un sac de biscuit, quelques boîtes de viande de conserve et un baril d’eau douce. J’avais ordre de rester près du grand canot pour qu’en cas de mauvais temps il pût nous prendre à bord.
« Et savez-vous ce que je pensais ? Je pensais que je lui fausserais compagnie aussi tôt que possible. Je voulais jouir tout seul de mon premier commandement. Je n’allais pas faire de la navigation d’escadre, si l’occasion s’offrait d’une croisière indépendante. Je ferais mon atterrissage tout seul. Je battrais les autres canots. Jeunesse ! Jeunesse que tout cela ! La sotte, la charmante et la belle jeunesse !
« Mais nous ne nous mîmes pas en route tout de suite. Il fallait rester avec le navire jusqu’au bout. Et cette nuit-là, les embarcations flottèrent à la dérive, montant et descendant sur la houle. Les hommes sommeillaient, se réveillaient, sou-