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« — Arrivez. Dépêchez-vous ! J’ai le courrier à bord. Je vous conduirai vous et vos embarcations jusqu’à Singapoor.

« — Non. Merci, — dit notre capitaine. — Nous devons rester à bord jusqu’au bout.

« — Je ne peux pas attendre plus longtemps, — cria l’autre. Le courrier, vous comprenez !

« — Bon ! Bon ! Ça ira !

« — Bien ! Je vous signalerai à Singapoor. Au revoir. »

« Il fit un geste de la main. Nos hommes tranquillement lâchèrent leurs paquets. Le vapeur mit en avant, et franchissant le cercle de lumière, disparut aussitôt à nos regards éblouis par le feu qui brûlait avec rage. Et c’est alors que je sus que je verrais l’Orient pour la première fois comme commandant d’une petite embarcation. Je trouvais cela beau : et cette fidélité pour le vieux navire était belle. Nous resterions avec lui jusqu’au bout. Oh ! la splendeur de la jeunesse ! Oh ! le feu qu’elle renferme, plus éblouissant que les flammes du navire incendié, ce feu qui jette sur la vaste terre une clarté magique, qui s’élance audacieusement vers le ciel et qui bientôt doit s’éteindre au contact du temps plus cruel, plus impitoyable, plus amer que l’océan, — et qu’environneront, comme les flammes du navire incendié, des ténèbres impénétrables.