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nous, ruisselant d’eau et fort penaud. Le capitaine avait passé la barre à quelqu’un d’autre, et, seul, à l’écart, le coude sur la lisse, le menton dans la main, il contemplait la mer, mélancoliquement. Nous nous demandions « Et puis quoi encore ? » Moi, je me disais : « À présent, ça vaut vraiment la peine. C’est magnifique. Je me demande ce qui va bien pouvoir arriver… » Ô jeunesse !

« Mahon, tout à coup, aperçut un vapeur, loin, sur l’arrière. Le capitaine Beard lui dit : « On peut encore le tirer de là. » On hissa deux pavillons qui voulaient dire dans le langage international de la mer : « Feu à bord. Demandons secours immédiat. » Le vapeur grossit rapidement et nous répondit bientôt au moyen de deux pavillons à son mât de misaine : « Je viens à votre secours. »

« Une demi-heure après il était par notre travers, au vent, à portée de voix, et il roulait un peu, ayant stoppé. Nous perdîmes tout sang-froid et nous nous mîmes tous à hurler comme des fous. « Nous avons sauté ! » Un homme en casque blanc, sur la passerelle, cria : « Oui, oui, ça va bien, ça va bien ! » et il hochait la tête, il souriait, il faisait de la main des gestes rassurants, comme s’il avait eu affaire à une bande d’enfants effrayés. Une des embarcations fut mise à l’eau et vint vers nous au rythme de ses longs avirons. Quatre Calashes souquaient d’une nage balancée. C’était la première fois que je voyais des marins malais. J’ai appris