nous faire caréner et enlever le cuivre pour visiter les fonds. Rien d’étonnant à ce que cette barque fit eau : harcelée par la tempête au delà de ses forces, la pauvre avait comme de dégoût craché l’étoupe qui garnissait ses membrures. On la recalfata, on la redoubla, on la rendit aussi étanche qu’une bouteille. Nous retournâmes au chaland et on remit la cargaison à bord.
« Alors, une nuit, par un beau clair de lune, tous les rats quittèrent le navire. Nous en avions été infestés. Ils avaient détruit nos voiles, consommé plus de provisions que l’équipage, partagé bienveillamment nos lits et nos dangers et maintenant que le navire était fin prêt, ils avaient décidé de décamper. J’appelai Mahon pour jouir du spectacle. Rat après rat, on les vit paraître sur notre lisse, jeter un dernier coup d’œil par-dessus leur épaule et tomber avec un bruit sourd dans le chaland vide. Nous essayâmes d’en faire le compte, mais nous ne tardâmes pas à nous embrouiller. Mahon s’écria : « Eh bien ! qu’on ne vienne plus me parler de l’intelligence des rats. Ils auraient dû partir avant, quand nous étions à deux doigts de couler. Cela vous prouve combien est stupide la superstition qu’on attache à eux. Les voilà qui lâchent un bon navire pour un vieux chaland, où il n’y a rien à manger, en outre, les imbéciles !… Je ne crois pas qu’ils sachent ce qui est sûr ou bon pour eux pas plus que vous ou moi. »