c’est lui-même qui me l’a dit… Et depuis que sa mère est morte, je n’ai eu personne, personne pour… pour… »
« J’écoutais. L’obscurité s’épaississait. Je n’étais même pas assuré d’avoir reçu la liasse qui lui était destinée. J’ai quelque lieu de croire que ce qu’il avait voulu me confier, c’était un autre paquet de papiers qu’un soir, après la mort de Kurtz, j’avais vu entre les mains du Directeur qui les examinait sous la lampe. Et la jeune fille parlait, tirant de la certitude qu’elle avait de ma sympathie un réconfort dans son affliction ; elle parlait comme boit l’homme altéré. J’avais entendu dire que ses fiançailles avec Kurtz n’avaient pas été approuvées par sa famille. Peut-être n’était-il pas assez riche… En fait j’ignore s’il n’avait pas été un pauvre diable toute sa vie. Il m’avait donné quelque raison de supposer que c’était l’impatience de sa pauvreté relative qui l’avait poussé là-bas.
— « Qui n’eût pas été son ami, après l’avoir entendu parler !… » disait-elle. — « C’est par ce qu’ils avaient de meilleur en eux qu’il prenait tous les hommes… » Elle me jeta un regard intense. — « C’est le don des plus grands, reprit-elle, et le son de sa voix basse semblait trouver son accompagnement dans les autres bruits, pleins de mystère, de désolation et de tristesse que j’avais entendus ailleurs ; le ruissellement du fleuve, le