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les journaux ou, inversement, pour un journaliste qui savait peindre, mais le cousin, lui-même, qui durant la conversation se bourrait le nez de tabac, ne fut pas en mesure de m’indiquer ce que Kurtz avait été, exactement. C’était un « génie universel » ; j’en tombai d’accord avec le vieux bonhomme qui, là-dessus, se moucha bruyamment dans un vaste mouchoir de coton et se retira avec une agitation sénile, emportant quelques lettres de famille et des notes sans importance. Finalement s’amena un journaliste, désireux d’obtenir quelques informations sur le sort de son « cher collègue ». Ce visiteur m’informa que l’activité de Kurtz aurait dû s’orienter du côté de la politique, d’une politique « à tendances populaires ». Il avait des sourcils touffus et droits, les cheveux raides tondus ras, un monocle au bout d’un large ruban et, devenant expansif, il me confia qu’à son avis Kurtz n’était pas écrivain pour un sou : « Mais, bon Dieu ! ce qu’il savait parler… Il électrisait son auditoire !… C’était un convaincu, voyez-vous : il avait la foi… Il arrivait à croire en n’importe quoi !… Il eût fait un admirable chef de parti avancé. » — « De quel parti ?… » demandai-je. — « N’importe quel parti ! » répondit l’autre. « C’était un… un extrémiste… N’était-ce pas mon avis ? » — Je l’admis. — « Et savais-je, reprit-il, avec un élan subit de curiosité, ce qui l’avait poussé à aller là-bas ? » — « Oui, » dis-je