dais, et il fallut nous arrêter à la pointe d’une île pour procéder aux réparations. Ce retard fut la première chose qui ébranla la confiance de Kurtz. Un matin, il me donna une liasse de papiers et une photographie, le tout lié avec un cordon de chaussure. — « Gardez cela pour moi, fit-il. Ce malfaisant imbécile — il voulait dire le Directeur — est capable de fouiller dans mes caisses lorsque j’aurai le dos tourné… » Dans l’après-midi je le revis. Il était étendu sur le dos, les yeux fermés, et je me retirais sans bruit quand je l’entendis murmurer : « Vivre honnêtement, mourir, mourir… » Je tendis l’oreille. Il n’y eut rien de plus. Répétait-il quelque discours pendant son sommeil, ou était-ce un fragment d’article de journal ?… Il avait collaboré à des journaux et comptait le faire à nouveau, « pour la propagation de mes idées : c’est un devoir pour moi… »
« Les ténèbres qui l’entouraient étaient impénétrables. Je l’observais comme on considère de haut un homme étendu au fond d’un précipice où le soleil jamais ne luit. Mais je n’avais guère de loisirs à lui consacrer, parce que j’aidais le mécanicien à démonter les cylindres qui fuyaient, à redresser une bielle faussée et autres préparations du même genre. Je vivais au milieu d’un infernal fouillis de rouille, de limaille, de boulons, d’écrous, de clefs anglaises, de forets à cliquet, toutes choses que j’abomine parce que je n’arrive pas à m’en